Les Divergences entre les Ash'aris et les Maturidis
par l'Imam Shams al-Din Ahmad ibn Sulayman ibn Kamal Pasha (873-940H) [1]
Tu dois savoir que Shaykh Abu al Hasan al Ash'ari est l'Imam de Ahl al Sunna et il est à leur tête, suivi par Shaykh Abu al Mansour al Maturidi. Saches également que, comme certains de nos Shaykhs nous l'ont appris, qu'Allah leur fasse miséricorde, les compagnons de Shafi'i et leurs succésseurs l'ont suivi (al Ash'ari) en matière de doctrine tout comme ils suivaient al-Shafi'i en matière de loi. Les compagnons de Abu Hanifa ont suivi Shaykh Abu al Mansour dans la doctrine et suivaient Abu Hanifa quant à la loi.
C'est ce que nos Shaykhs nous ont transmit. Et nous nous adressons à Allah Exalté, l'implorant d'accorder à ces deux nobles Imams une récompense généreuse pour ce qu'ils ont dispensés de conseils sincères aux musulmans.
Nous nous adressons à Allah Exalté, l'implorant de nous compter parmi ceux qui accomplisses les actions de ceux à qui le succès Divin a été accordé: ceux qui ont traversé le chemin des bien guidés et des réalisés; par Ses largesses, Sa récompense et Sa générosité, Amin! Il n'y a pas de matière à contradictions entre ces deux Shaykhs et leurs partisans sauf sur douze points. [2]
Un: al-Maturidi a dit que le Takwin [l'acte de création] est un attribut éternel qui subsiste avec l'Essence d'Allah, comme chacun de Ses attributs, qui est distinct de ce qui est créé [mukawwan], et qui est lié à ce qui est amené à l'existence dans le monde ainisi qu'à chacune de ses constituantes depuis l'instant de sa création. De même que la Volonté d'Allah est éternelle et liée à ce qui est voulu par depuis le moment de son existence, et que Son omnipotence éternelle est liée à ce qui est décreté. [3]
Al-Ash'ari dit quant à lui qu'il est un attribut contingent qui ne subsiste pas avec l'essence d'Allah, mais qui selon lui est des attributs d'acte et non des attributs éternels. Il voyait tous les attributs d'acte comme étant contingents, tels que le Takwin, le fait d'amener à l'existence, et l'émergence du monde par la parole: "Soit" (Kun) [4]
Deux: Al-Maturidi a dit que la parole d'Allah Exalté n'est pas entendue, plutôt, c'est ce qui renvoit à elle qui est entendu. [5] Al-Ash'ari a dit qu'elle était entendue, comme il est bien connu de l'histoire de Musa. Ibn Furak a dit: "Deux choses sont entendu durant la lecture du récitateur: la voix du récitateur et la parole d'Allah Exalté." Al Qadi Abu Bakr al Baqillani a dit: "La parole d'Allah n'est pas entendue dans le sens conventionnel du terme, plutot; il est possible pour Allah d'accorder à celle qu'Il veut de Ses créatures de l'entendre; et celà en rupture avec la coutume et sans que celà soit par le moyen de lettres et de sons." Abu Ish'aq al Isfrayini et ceux qui l'ont suivi ont dit: "La parole d'Allah ne peut en aucun cas être entendue." C'est ce point de vue qui a été choisi par Shaykh Abu al-Mansour al-Maturidi comme on le trouve dans al-Bidaya.
Trois: Al-Maturidi a dit que le Créateur de l'univers est décrit par la sagesse (hikma), que la sagesse a le sens de science ('ilm) ou le sens de maitrise/perfection (ihkam). [6] Al-Ash'ari a dit que si la sagesse prend le sens de science, alors c'est un attribut éternel qui subsiste avec l'Entité d'Allah, Exalté soit-Il, et que s'il prend le sens de maitrise/perfection alors c'est une qualité contingente semblable au Takwin, et l'Entité du Créateur n'est pas décrite par celà.
Quatre: Al-Maturidi a dit qu'Allah veut l'obéissance ou la désobéissance pour tous les êtres, qu'ils soient des essences ou des accidents, mais que toutefois l'obéissance advient de par la volonté, le décret, l'ordre, la predestination, l'agrément, l'amour et le commandement d'Allah; tandis que la désobéissance advient par la volonté, le décret, l'ordre, la prédestination d'Allah, mais pas son agrément, son amour ni son commandement. Al-Ash'ari a dit l'agrément et l'amour d'Allah inclut toutes les choses, à l'instar de Sa volonté. [7]
Cing: Selon al-Maturidi, il est impossible qu'il soit imposé (à l'homme) la responsabilité légale d'endurer de ce dont on a pas la capacité, mais il reste possible qu'il lui soit imposé une chose qu'il ne peut supporter [8]. Selon al-Ash'ari, les deux sont possibles.
Six : al-Maturidi a dit que certains jugements qui relevaient de la responsabilité légale (taklif) sont connaissables par l'intellect, car l'intellect est un outil par lequel le bien et le mal de certaines choses peuvent être compris, et par lequel les obligations de la foi sont comprises, ainsi que l'obligation de gratitude envers le Pourvoyeur de bienfaits. Celui qui a rendu tout cela connaissable et obligatoire est Allah exalté, mais par le moyen de l'intellect, de la même manière que le Messager d'Allah salallahu 'alaihi wa salam a fait connaitre les obligations mais que celui qui les a rendu obligatoire était en réalité Allah, mais par le moyen du Messager salallahu 'alaihi wa salam. Al-Maturidi a dit: "Nul n'est excusé de l'ignorance de son Créateur, et cela à cause de ce qu'il peut contempler à travers la création des cieux et de la terre," et: "Si Allah n'avait pas envoyé les Messagers, il serait tout de même obligatoire pour ses créatures de Le connaitre de part leurs intellects."
Al-Ash'ari dit que rien n'est considéré comme une obligation ou une interdiction excepté ce qui est interdit ou rendu obligatoire par la Loi Sacrée, et non par l'intellect, et ceci meme si ce dernier est capable de comprendre le bien et le mal des choses. Selon al-Ash'ari, tous les jugements qui découlent de la responsabilité légale sont pris de la révélation.
Sept: al-Maturidi a dit que l'infortuné peux devenir fortuné, et que le fortuné peux devenir infortuné. Al-Ash'ari a dit qu'il n'y a pas de considération à doner à la fortune ou l'infortune excepté à la fin de la vie et au moment de sa rétribution. [9]
Huit: al-Maturidi a dit qu'il est rationellement impossible que la mécréance soit pardonnée. Al-Ash'ari a dit que cela était rationnellement possible, mais textuellement rendu impossible.
Neuf: al-Maturidi a dit qu'il est rationellement et textuellement impossible pour les croyants de rester éternellement en Enfer ou pour les mécréants de rester au Paradis. Al-Ash'ari a dit que cela était rationellement possible, mais textuellement rendu impossible. [10]
Dix: Certains Maturidi disent que le nom et ce qui est nommé (al-ism wa al-musamma) ne font qu'un. Al-Ash'ari croyait qu'il y'a une distinction entre les deux et "l'acte de nommer" (tasmiya). Certains d'entre eux ont divisé un nom en trois catégories: lui-même, autre que lui-même et une troisième catégorie qui n'est ni lui-même ni autre que lui-même. Il y'a un accord toutefois sur le fait que l'acte de nommer (tasmiya) est autre que le nom et ce qui est nommé, et c'est ce qui est établit par ce qui est nommé. Nous tirons cela de Bidaya al-Kalam.
Onze: al-Maturidi a dit que le fait d'être de sexe masculin est une condition de la Prophétie, et que par conséquent il est impossible qu'une femme soit Prophétesse. Al-Ash'ari a dit que le fait d'être de sexe masculin n'était pas une condition, et que le fait d'être une femme n'annulait pas ce statut. Nous tirons cela de Bidaya al-Kalam.
Douze: Al-Maturidi a dit que l'action du serviteur est appelé aquisition et non création, et que l'acte du Réel (Allah) est appellé création et non aquisition; mais que les deux sont des actions. Al-Ash'ari a dit que "l'action" dénotait du fait d'amener réellement une chose à l'existence, et l'acquisition du serviteur n'est appellé "action" que métaphoriquement. Il a été dit: "Ce qui est possible d'attribuer de façon unique au Tout-Puissant est appellé création, ce qu'il est impossible d'attribuer au Tout-Puissant est l'acquisition." [11]
Notes:
[1] Ibn Kamal Pasha (mort en 940 de l'Hégire) était l'un des grands savants et érudits de l'Empire Ottoman. Il était contemporain de al-Hafidh Jala al-Din al-Suyutil, et ces deux savants devinrent célèbres de part leur vaste science. Des comparaisons ont été faites entre la science et l'étendu de Pasha et de Suyuti, et la plupart des savants ont conclut qu'ils étaient égaux, avec al-Suyuti ayant une plus grande maitrise de la science du hadith, et Pasha une plus grande maitrise des sciences rationnelles.
[2] "Il n'est pas inconu pour le lecteur que les savants ont mentionné un plus grand nombre de différences que cela. Il semble toutefois que l'auteur se limite à cela du à leur nature évidente." (Sh. Sa‘id Foudah: Sharh Risala al-Ikhtilaf bayn al-Asha‘ira wa al-Maturidiyya, 12)
[3] "En d'autres termes, le Takwin est un attribut prééternel qui subsiste avec Allah et qui a un lien contingent effectif avec ce qui est créé au moment ou il est amené à l'existence. Pour cette raison, les savants disent que le Takwin est différent de ce qui est amené à l'existence (al-mukawwan), parceque le Takwin est un attribut prééternel et que ce qui est amené à l'existence est contingent. Pour cette raison, la prétention de certaines racailles hashawi comme quoi les Maturidis seraient d'accord avec eux pour direque les contingents subsistent dans l'entité d'Allah est incorrecte... Et c'est une tromperie car selon les Maturidis, le Takwin est prééternel et non contingent. Il ne doit pas être appellé un attribut dans le sens stricte du terme, mais c'est plutôt un attribut duquel découlent des actions..." (ibid.)
[4] "Ainsi, selon al-Ash'ari, le Takwin est une description du même lien de pouvoir en prenant en compte son effet, tandis que pour al-Maturidi, c'est l'attribut prééternel dont viennent la création
et ce qui est amené à l'existence." (ibid. 13)
[5] "Pour al-Maturidi, "ce qui es entendu (al-masmu')" ne s'applique qu'à ce qui est lié au sens de l'ouï... Selon lui, ce qui y est lié sont les sons qui renvoient à l'attribut prééternel. Quant à l'attribut prééternel lui-même, al-Maturidi et al-Ash'ari soutenaient tous deux qu'il n'y avait aucun lien avec les sens et que les sens n'y étaient pas liés. Le désaccord porte sur la possibilité ou non d'entendre un attribut prééternel. Pour al-Maturidi, entendre est conditionné par le moyen des sens, aussi il a nié que la Parole Interieure (Kalam Nafsi) puisse être entendue..." (ibid. 18)
[6] "L'Imam al-Maturidi a dit qu'Allah Exalté est décrit par la sagesse, et que la sagesse est une description de l'Essence d'Allah. Ceci renvoit soit à la connaissance des actes précis/parfaits, soit à l'attribut prééternel de Takwin qu'al-Maturidi a affirmé. Cela signifie que la maitrise et la perfection sont des implications du Takwin..." (ibid. 19)
[7] "Quand à l'Imam al-Ash'ari, le Ustadh (Pasha) a raporté qu'il croyait que l'amour d'Allah inclut tout accident, qu'il s'agisse d'un acte d'obéissance ou de désobéissance. Cette formulation générale implique qu'Allah aime la désobéissance. Le point de vue correct est toutefois que cela n'est pas la doctrine d'al-Ash'ari. Au contraire, il a dit qu'Allah n'aime la désobéissance que dans la mesure où Il punnit en vertu celle ci, tout comme Il aime l'obéissance dans la mesure où Il récompense en vertu de celle ci. Il y'a donc une distinction entre ceci et ce que Ustadh Kamal Pasha et d'autres ont attribué à al-Ash'ari." (ibid. 29)
[8]Al-Maturidi fait la distinction entre une chose légalement rendue obligatoire et une chose qu'on aurait à subir en général.
[9] Selon al-Maturidi, la fortune est définie par l'Islam et l'infortune par la mécréance. Selon al-Ash'ari, la fortune est définie par mourir dans l'Islam, et l'infortune par mourir dans la mécréance.
[10] Al-Ash'ari se base sur un jugement rationnel tandis qu'al-Maturidi se base sur l'observation de la volonté effective d'Allah.
[11] Le coeur de ce désaccord est que al-Ash'ari a soutenu que le mot "action" était littéral quand il était appliqué à Allah (qu'Il est celui qui Agit) et est appliqué de façon métaphorique au serviteur. Al-Maturidi d'un autre point de vue, soutient que le mot "action" est également littéral quand il est appliqué au serviteur.